Siège et Prise de Cahors - 1580
Malgré les lois de l’Etat qui interdisaient de donner aux filles des rois de France des apanages territoriaux (1), Charles IX avait attribué pour dot à sa sœur Marguerite, en la mariant à Henri de Navarre, les sénéchaussées du Quercy et de l’Agenois. On avait même abandonné à cette princesse tous les droits régaliens qui sont inséparables de la couronne, jusqu’au pouvoir de nommer aux évêchés et aux abbayes. C’était une concession dangereuse ; mais le roi voulait la paix à tout prix, même aux dépens de son autorité et des intérêts du royaume (2). Ce n’était pas cependant sans arrière-pensées qu’il pouvait accepter ou plutôt subir de telles conditions ; aussi toutes les trêves signées à cette époque funeste furent-elles des paix boiteuses, violées par les’ uns, dédaignées par les autres, Les habitants de Cahors, ennemis acharnés des protestants et qui s’étalent toujours distingués par leur attachement à la France, refusèrent d’obéir aux ordres du roi et ne voulurent jamais reconnaître l’autorité de Henri de Navarre.
Il importait beaucoup aux réformés d’être maîtres de Cahors Ils possédaient déjà Montauban et Figeac ; pour dominer entièrement dans le Quercy, il ne leur manquait que sa capitale.
La septième guerre civile venait de commencer ; le Languedoc et le Dauphiné s’agitaient ; la Guyenne était en armes. Pour ranimer le courage et l’ardeur de ses partisans, pour frapper un coup décisif, Henri de Navarre résolut de s’emparer de la fière cité qui refusait de lui ouvrir ses portes.
A cette époque où l’artillerie n’était pas encore d’un usage habituel, ni d’une très-grande puissance, Cahors devait être considéré comme une place importante, aisée à défendre, difficile à forcer.
Située dans une presqu’île d’une moyenne étendue, ne tenant à la terre ferme qu’au nord, où la protégeaient des fortifications redoutables, entourée de tous les autres côtés par une rivière large, profonde, dangereuse, elle avait toujours été dans les meilleures conditions pour ne pas être surprise par un hardi coup de main.
Il en était surtout ainsi depuis que, ruinée par le farouche Théodebert, elle avait abandonné la partie basse de la presqu’île où, durant la domination romaine, elle s’était principalement établie, et s’était concentrée toute entière sur le versant opposé. Elle occupait, en descendant du nord au midi un espace de près de deux mille mètres de longueur, mais étroit, surtout aux extrémités. Elle était défendue, à l’est, par des rochers à pic, le Lot et une enceinte de murs et de tours ; à l’ouest, en lace de l’ancien emplacement de la cité gallo-romaine, par un large fossé et des remparts assez épais et assez élevés pour résister à toute espèce d’attaque.
Pour pénétrer dans la ville qui s’étendait en amphithéâtre sur ce terrain très accidenté, il fallait, à moins d’arriver par Labarre, c’est-à-dire par la route de Paris, de la France, comme on disait alors, franchir l’un des trois ponts qui la mettaient en communication avec la rive gauche.
L’un, le plus ancien, aujourd’hui disparu, sur lequel passait autrefois la grande voie militaire de Tolosa à Divona, était situé au midi et touchait aux quartiers inférieurs de la cité.
L’autre, ce magnifique pont de Valentré que l’illustre Michelet appelait une merveille, et qui subsiste encore dans toute sa beauté, était à l’ouest. Entre la ville et lui, s’étendait un espace considérable, 500 mètres environ.
Le dernier, appelé alors comme aujourd’hui le Pont- Neuf, quoiqu’il fût plus ancien que le pont Valentré, se trouvait à l’est. Il faisait face au centre de la ville dans laquelle, dès qu’on l’avait franchi, on entrait immédiatement, sans rencontrer aucun obstacle.
Ce fut par-là que Henri de Navarre résolut de s’y introduire.
Ce projet, hardi et périlleux, était cependant le plus habile, le seul réalisable peut-être ; et les nobles espions qui étaient venus reconnaître la place avaient bien apprécié la situation. Il ne fallait pas songer à emporter une des portes septentrionales. Rigoureusement gardées, fortement défendues, elles étaient surveillées par la citadelle qui n’était pas éloignée. Essayer de les prendre d’assaut, c’eût été une entreprise insensée, alors même qu’on eût pu arriver de ce côté en venant de Montauban ou de la Gascogne.
Tenter l’aventure du côté du Midi ou de l’Ouest, par le pont Vieux ou le pont Valentré, était aussi imprudent. Après avoir réussi à franchir l’un de ces ponts sans trop de pertes, il fallait entreprendre un siège, puisque dans l’un et l’autre cas on se serait trouvé, non dans l’intérieur de la ville, mais en présence des solides remparts qui la ceignaient dans toute son étendue.
Si, au contraire, on parvenait à enlever brusquement le Pont-Neuf, on pénétrait, sans obstacles, au cœur même de la place. Elle était prise.
Pour un homme de guerre ayant du coup d’œil et de l’expérience, il n’y avait pas à hésiter. On pouvait assiéger de tous les côtés la vieille cité catholique, on ne pouvait la surprendre que d’un seul. Et comme, les réformés, hors d’état d’entreprendre un siège en règle, ne songeaient qu’à une surprise, ils durent la tenter parle Pont-Neuf.
Cette résolution arrêtée, ils cherchèrent à faciliter le succès de l’entreprise en diminuant toutes les chances contraires, en s’en créant de favorables. Et le résultat prouve qu’ils ne reculèrent devant aucun moyen, même devant la corruption et les trahisons cachées ou patentes.
N’eussions-nous pas l’inscription lapidaire (3) qui, au lendemain de ces événements, placée sur la porte restaurée du pont, attribuait aux traîtres du dehors et du dedans la réussite du coup de main, n’eussions-nous pas le témoignage de tous les contemporains, conservé jusqu’à nous par la tradition et les chroniques, il ne saurait y avoir à cet égard ni doute, ni incertitude.
Il est évident que les capitaines Tour de-Faure et Robert de Cajarc, envoyés par le vicomte de Gourdon pour reconnaître la place, ne s’occupèrent pas seulement d’en considérer les approches, d’examiner quels en étaient les points les plus faibles ou les moins défendus, ils pensèrent aussi à y nouer des intelligences, y recruter des partisans, y séduire, sans doute, une partie de la garnison afin que, l’heure venue, la résistance fût moins vive et la lutte moins inégale.
Et cependant, malgré toutes ces précautions, tous ces soins, tous ces efforts, l’entreprise eût incontestablement échoué si, aveuglé par je ne sais quelle présomptueuse confiance, le commandant militaire de la ville n’eût négligé de prendre les mesures qu’indiquait la plus vulgaire prudence.
Ce commandant était Jean de Vezins, le rude et héroïque capitaine dont d’Aubigné et de Thou ont raconté la noble conduite à l’égard de son ennemi Reynier. Sénéchal du Quercy depuis 1576, il connaissait mieux que personne les projets des religionnaires sur le Quercy et sur sa capitale. Les événements qui venaient de se produire du côté de Cajarc, de Saint Cirq-Lapopie, devaient lui faire comprendre que le danger approchait et que l’heure de l’attaque allait sonner. D’ailleurs, des avis formels lui avaient été adressés (4). Il savait tout, excepté peut-être le point sur lequel il serait attaqué. Mais ce détail était inutile. Il devait sentir qu’il ne pouvait l’être sérieusement que par l’un des trois ponts, spécialement par le Pont-Neuf, et il aurait dû veiller de ce côté, en augmenter les défenses, et en choisir les gardes avec soin.
S’il l’avait fait, s’il avait jeté quelques hommes sûrs et dévoués derrière les hautes murailles du couvent des Jacobins sous lesquelles devaient nécessairement passer les assaillants, si les tours du pont eussent été remplies de soldats aguerris, si les portes eussent été munies de leurs herses, la surprise devenait impossible.
Vezins ne fit rien de tout cela. Il se contenta d’afficher la plus grande confiance, de narguer les Huguenots en paroles et par écrit, et d’attendre leur arrivée. Il ne l’attendit pas longtemps.
Le jour de la fête de la Sainte-Trinité qui, en cette année 1580, fut le dimanche 29 mai (5), les bandes ennemies étaient à quelques pas de la ville. Formées autour de Saint-Antonin, elles s’étaient ravitaillées, après une marche rapide, au château de Vayrols, appartenant à Gontaud, seigneur de Cabreretz, et elles se trouvaient réunies dans la gorge étroite et sombre qui fait face au Pont-Neuf, et s’ouvre à cent mètres à peine de lui. Si le soleil eût brillé et si, gravissant les coteaux au pied desquels ils se trouvaient, les réformés avaient jeté les yeux sur la vieille cité féodale, elle leur aurait apparu si forte et si imposante avec sa vaste enceinte, ses murs crénelés, ses rares portes, ses tours gigantesques, ses remparts inaccessibles, ses grosses maisons carrées garnies de tourelles qui les faisaient ressembler à des forteresses, que, peut-être, malgré leur courage et leur avidité, leur désir de pillage et leur soif de vengeance, ils auraient hésité et reculé devant un assaut si périlleux.
Mais il était nuit ; ils ne pouvaient se rendre compte des obstacles qu’ils auraient à surmonter, En outre, ils avaient à leur tête des chefs d’une surprenante bravoure, surexcités par les plus violentes passions. Leur roi était présent et leur offrait une proie magnifique. Ils n’avaient qu’un pas à faire pour la saisir. Aussi se précipitèrent-ils sur elle résolument et avec enthousiasme.
Voici dans quel ordre : à l’avant-garde, marchaient douze pétardiers du vicomte de Gourdon -Cénevières (6), le principal instigateur de l’entreprise, secondés par dix soldats de la garde du prince. Ces vingt-deux hommes étaient suivis de près par vingt autres fantassins et trente cavaliers, commandés par le capitaine Saint-Martin. Venaient ensuite quarante gentilshommes sous les ordres de Roquelaure, et soixante soldats de la garde avec Sully.
Après ce premier corps, se trouvait le roi de Navarre, entouré de deux cents gentilshommes. Enfin, le gros de la pelite armée, composé d’environ 1000 à 1200 arquebusiers. En tout, moins de 1500 hommes.
L’heure était avancée, minuit, disent les chroniques. Un orage venait d’éclater, étouffant sous des coups de tonnerre incessants le bruit des pas des hommes et des chevaux. Rien ne révéla la marche des envahisseurs ; ils passèrent sans encombre devant le couvent des Frères Prêcheurs, et se trouvèrent au pied du pont qu’il fallait franchir.
Ce pont n’était pas comme aujourd’hui nu et ouvert sur les deux pentes raides et disgracieuses qui le partagent. Construit presque à la même époque que celui de Valentré, il avait la même architecture, les mêmes fortifications (7). A chacune de ses extrémités et au milieu, il était surmonté d’une grosse tour carrée, munie de mâchicoulis, fermée par une herse et deux portes, l’une extérieure et l’autre intérieure, dans l’intervalle desquelles, au moyen d’une ouverture pratiquée dans la voûte, on pouvait facilement écraser l’ennemi engagé dans cet étroit espace.
La porte en face de laquelle les huguenots étaient parvenus, était solidement fermée ; mais elle était en bois, et par un singulier hasard, si toutefois ce fut un hasard, ce jour-là, il n’y avait pas de herse. Quant à ceux qui devaient la défendre, il ne semble pas qu’ils fussent dans la tour même ; ils devaient être à quelques pas de là, au milieu du pont, dans le double corps de garde qui y avait été construit, dominant et surveillant les deux rampes qui y aboutissent. Ils dormaient ou buvaient, et l’orage les empêchait par ses violents éclats, d’entendre les bruits du dehors.
Afin de rompre cette porte, les soldats qui formaient l’avant-garde du roi de Navarre, y appliquèrent un engin d’invention récente que l’historien de Thou décrit ainsi : ce sont des vases qui peuvent contenir quinze à vingt livres de poudre : on fait entrer l’embouchure de ces vases dans de grosses barres de fer croisées en sautoir. Cette machine étant appliquée à une porte ou à quelque clôture que ce soit, on y met le feu avec une mèche ; aussitôt la machine saute avec un fracas épouvantable, brise et renverse tout ce qui est aux environs et fait voler de toutes parts de gros morceaux de pierre et de bois qui souvent mettent en pièces les canonniers eux-mêmes, quelque précaution qu’ils prennent. Le bruit que fait cette machine en crevant, lui a fait donner le nom de pétard.
Voici maintenant la description de l’abbé Salvat : le pétard employé au siège de Cahors et conservé dans la maison de M Leblanc de St-Fleurien, ancien conseiller au parlement de Toulouse, est une machine faite en forme de pelle à feu. On la braquait sur une pièce où elle était assujettie par un crampon qui l’empêchait de reculer, et attachée par la culasse avec de grosses cordes pour l’empêcher de se détourner en sens contraire à l’effet qu’on voulait produire. Elle a une lumière comme le canon et se bourrait avec un pilon de fer. Son volume n’est pas considérable ; elle peut avoir environ de 5 à 6 pouces de largeur, sur 7 à 8 de longueur, et environ un demi-pouce d’épaisseur.
Jean Robert appliqua le pétard. Il ne joua pas heureusement, et ne fit qu’un trou à la porte sans la faire sauter. Les assiégeants furent obligés d’avoir recours à la hache, au levier et à la sape ; mais, malgré toutes ces ressources, les ouvertures se trouvèrent encore si étroites que les premiers qui se présentèrent ne purent entrer qu’en rampant.
Cette circonstance, citée par tous les auteurs, spécialement par Sully qui, comme il le dit lui-même, était présent et des plus proches (8), démontre qu’il n’y avait aucune garde à cette porte. Rien n’était plus aisé que de s’opposer à une pareille introduction, et dix hommes résolus auraient pu sans difficulté dans de telles conditions, résister avec succès à toute l’armée protestante. La lutte ne dut commencer qu’au milieu du pont, vers la seconde tour, lorsqu’après avoir complètement abattu la première porte, les pétardiers du vicomte de Gourdon se furent avancés avec leurs compagnons.
Mais là encore, le combat ne devait être ni long, ni sérieux. Surpris par toute une armée, les quelques soldats qui gardaient ce poste ne pouvaient lutter que faiblement. La résistance dura cependant assez pour arrêter l’ennemi et donner aux défenseurs de la ville le temps d’accourir,
Près du pont, à sa droite, occupant presque tout un quartier, s’élevait le collège Pélegry, rempli d’une généreuse et vaillante jeunesse. Des hautes murailles de ce grand établissement, de la large terrasse qui le desservait, on dominait la plaine de Cabessut, le Lot et le Pont-Neuf. A la première alerte, ces écoliers se levèrent. Le bruit du pétard, les arquebusades, les cris des combattants leur firent comprendre que la ville était en péril.
S’armant à la hâte, à demi-nus, ils s’élancent sur le pont et donnent l’alarme aux quartiers voisins, tandis que quelques-uns vont faire sonner le tocsin dans toutes les églises, et prévenir le sénéchal et les consuls. En attendant l’arrivée des troupes régulières, les bourgeois du Port-Bullier, de la Daurade, de la place des petites Boucheries, vont avec les étudiants porter secours aux défenseurs du pont.
Vezins habitait la rue des Mossouls, au fond de la ville, vers le Pont-Vieux. Il avait sous ses ordres un certain nombre de soldats, des arquebusiers et une partie de la compagnie de gendarmes de l’amiral de Villars, dont il était lieutenant. Il avait vainement demandé à la cour un supplément de garnison, tout au moins quelques salades (9) ; il n’avait pu les obtenir, malgré ses vives instances, et il en était réduit aux troupes qu’il avait avant l’ouverture des hostilités.
Si toutes ces forces eussent été réunies, et s’il eût pu les porter immédiatement sur le théâtre de la lutte, il est probable qu’elles auraient suffi à repousser les Huguenots. Mais elles étaient disséminées dans divers quartiers, elles occupaient les nombreux postes de l’enceinte, et Vezins ne put disposer au premier moment que d’un petit nombre de soldats. Au premier cri d’alarme, au premier avis qu’il reçut, en toute bâte, sans prendre même le temps de s’habiller, en chemise, dit-on, il courut là où l’appelait le devoir.
Lorsqu’il arriva, le pont était-il complètement emporté ou bien la dernière porte résistait-elle encore ? II est impossible de rien affirmer. Au reste, si un véritable combat n’eut pas lieu sur le pont même, tous les historiens s’accordent pour dire qu’une bataille acharnée fut livrée dès que l’ennemi eut mis le pied dans la ville.
La dernière porte jetée à terre par un second pétard, les assaillants se trouvèrent à l’entrée d’une petite rue longue à peine de quelques pas, étroite, obscure, avec des maisons en pans de bois, surplombant sur la chaussée. A gauche, elle conduisait à la place des Changes et, par elle, au cœur de la ville, à droite à l’une des portes du collège Pélegry et aux pauvres quartiers bâtis le long de la rivière.
Ce fut là que parut Vezins, n’ayant avec lui, dit Sully, que quarante gens d’armes et deux cents arquebusiers presque nus, mais soutenu sur ses derrières par une foule d’habitants dont le nombre et l’exaspération augmentaient à chaque instant.
Le terrain sur lequel allait s’engager une véritable bataille, ne se prêtait guère à un grand déploiement de forces. De la porte du pont au bout de la rue, il y avait cent mètres à peine, sur une largeur variant de deux à trois. C’était dans cette sorte d’impasse qu’étaient resserrés les combattants, les uns, s’appuyant au pont par où ils pouvaient se retirer en cas de besoin, les autres ayant la ville entière pour refuge.
Roquelaure venait de rejoindre avec ses hommes d’armes, le baron de Salignac. « Les cloches faisaient un merveilleux bruit, sonnant l’alarme de toutes parts ; les voix, un autre, criant incessamment : charge, charge, et tue, tue ! » (10).
Les deux troupes se ruèrent l’une sur l’autre avec cette furie guerrière qui caractérise les hommes du Midi.
Le premier choc fut terrible et d’autant plus meurtrier qu’on se battit corps à corps, à l’arme blanche, à coups de pertuisanes et de piques. Il n’y avait pas assez d’espace pour les mousquets et les arquebuses. Dès que les Huguenots se furent engagés dans la rue, aux coups portés par les soldats catholiques vinrent s’ajouter toute sorte de projectiles, pierres, poutres, ferrailles, qu’on lançait des fenêtres et des toits. Toute la population valide était sur pied. Les uns dépavaient les rues pour en jeter les cailloux à l’ennemi ; d’autres tendaient d’énormes chaînes et élevaient des barricades avec des tonneaux remplis de terre, des solives et de gros meubles. Des deux côtés, on combattait avec rage, ceux-ci pour sauver leur liberté et leur vie, ceux-là pour venger l’injure reçue et piller les richesses de la cité.
Vezins fut blessé dans cette attaque. Cette blessure ébranla le courage des catholiques ; mais l’intrépide capitaine les rassura aussitôt. Au lieu de sortir de la ville avant le jour, comme l’ont écrit certains auteurs, il cria que ce n’était rien et fît sonner une nouvelle charge dans laquelle trois chefs protestants renommés, Saint-Martin, Salignac et Roquelaure furent blessés à leur tour et retirés de la mêlée par leurs soldats. A cette vue, les Cadurciens, animés par le sentiment de leur propre conservation, par la haine qu’ils portaient aux sectaires, par la crainte des représailles auxquelles ils étaient exposés, se précipitent sur les ennemis et les refoulent jusqu’à la porte du pont. Les arquebusiers qu’a conduits Vezins, les écoliers de Pélegry font des prodiges de valeur. Le vicomte de Gourdon et Terride viennent se mettre à la tête des assiégeants, mais abandonnés par le gros de leur troupe qui se débande et s’enfuit, ils reculent eux-mêmes vers le milieu du pont que le roi de Navarre et ses gardes n’ont pas encore dépassé. Quatre cents protestants sortirent en désordre de la ville.
A la vue de cette déroute, triste continuation d’une entreprise si heureusement commencée, Henri de Navarre s’élance au milieu des fuyards et parvient à rallier les plus intrépides. Songeant ensuite à secourir ceux qui luttent encore, il se met à la tête de ses gentilshommes et du reste de sa petite armée, leur adresse quelques- unes de ces chaleureuses paroles dont il a le secret, et gravit en courant la pente courte et raide qui le conduit à l’ennemi presque victorieux. Son aspect ranime l’ardeur des soldats du vicomte do Gourdon. Toute l’armée navarraise se rue avec un élan furieux sur les Catholiques.
La victoire fut chèrement disputée. Il dut y avoir sur ce pont une lutte terrible, un moment critique pour les envahisseurs. La tradition nous l’indique d’une manière certaine. Aujourd’hui encore, à Cahors, quand une personne est en péril et ne peut s’en tirer qu’avec peine, le peuple, sans connaître l’origine du dicton qui lui a été transmis de génération en génération, s’écrie dans son patois énergique et imagé : Ii est f...lambé comme Henri IV sur le Pont-Neuf.
Après un combat acharné, les huguenots finirent par l’emporter, et reconquérir le terrain perdu. Les défenseurs de la ville furent rejetés au-delà du pont, où la bataille continua.
Malgré ce succès, la situation des assiégeants était des plus dangereuses. Ils étaient engagés dans une sorte de cul de sac ; en effet, l’extrémité de la rue où ils étaient entassés était solidement fermée par une barricade occupée par de nombreux et vaillants combattants. Latéralement, ils n’avaient aucune issue pour se soustraire, même momentanément, au feu de la barricade et aux projectiles qu’on précipitait sur eux de toutes les maisons. Les deux rues qui débouchaient sur celle où ils se trouvaient en ce moment et qui auraient pu leur servir de refuge avaient été soigneusement fortifiées et remplies d’obstacles de toute nature. De ces deux rues, l’une allait au nord, au collège Pélegry, transformé en une véritable forteresse, l’autre longeait au sud les remparts, garnis de nombreux soldats.
Là aussi, la lutte fut affreuse et terrible. Resserrées dans cet étroit espace, les troupes du roi de Navarre offraient prise de tous côtés aux coups des Cadurciens. Elles y subirent de grandes pertes. Plus d’un brave capitaine y périt. Ce fut là que Sully faillit être écrasé. Une pierre énorme lancée d’une fenêtre, le renversa sans connaissance, et il ne put se relever, quelques instants après, qu’avec l’aide de deux de ses compagnons d’armes, les sieurs de la Bertichère et de la Trappe. Il ne quitta pas cependant le champ de bataille. Henri de Navarre excitait les Huguenots de sa voix et de son exemple ; après une mêlée furieuse, la barricade fut emportée. Maîtres de la rue qui aboutissait au pont, les assaillants pénétrèrent dans une seconde rue qui donnait sur la place des Petites-Boucheries (11). L’attaque fut aussi vive, mais la résistance fut plus sérieuse ; car derrière les barricades qu’elle venait d’élever, toute la garnison pouvait se déployer sans se nuire. Après avoir usé de part et d’autre de l’arquebusade à bout portant, on employa la hallebarde et l’épée. Plusieurs combats se livrèrent avant que l’ennemi pût gagner la place. Sully fut de nouveau atteint ; ses cuissarts s’étant détachés, il fut légèrement blessé à la cuisse. Il ne put surmonter les obstacles qu’on lui opposait et dut se retirer avec beaucoup de peine, sous le feu de l’artillerie braquée par les Cadurciens sur la place. Quoique blessé aussi, le sénéchal de Vezins, avec tous ceux qu’il avait pu ramasser, résista vaillamment du côté de la Daurade et de la Cathédrale, quand les protestants furent arrivés jusqu’à la place. Le carnage fut horrible. Le roi de Navarre y rompit deux pertuisanes ; ses armes furent marquées de plusieurs coups de feu et de main ; ses habits déchirés et sans manches prouvaient qu’il avait vaillamment payé de sa personne. Sans un fâcheux évènement qui jeta la consternation et le découragement dans le cœur des assiégés, on ne peut dire comment la lutte se serait terminée. De tous les points de la cité, les bourgeois et les artisans accouraient, et ranimés par ce secours toujours croissant, les catholiques luttaient avec ardeur, quand un de leurs chefs les plus aimés et les plus braves, le consul Dedrin tomba frappé par derrière et par une main inconnue (12). Cette déplorable trahison amena la retraite des compagnons du consul. Ils se retirèrent dans les deux rues qui menaient à la Cathédrale. Les huguenots les y poursuivirent, et pendant toute la journée on combattit sans trêve ni merci. A chaque carrefour il fallut livrer une nouvelle bataille ; il fallut assiéger chaque maison.
Le vicomte de Turenne commandait l’attaque sous le Navarrais. Il parvint à forcer une barricade construite près de l’église Saint-Pierre. Il perdit beaucoup de monde ; mais c’était pour les protestants un avantage considérable, une position précieuse et redoutable qu’il fallait conserver à tout prix. L’église Saint-Pierre fut transformée en véritable redoute et constitua avec la barricade, un obstacle presque imprenable, auquel aboutissaient les petites rues conduisant à la Fondue et au portail Alban, et devant lequel devaient nécessairement passer les secours venant de la haute ville, la place des Petites-Boucheries étant tombée au pouvoir des assaillants. Turenne avait bien compris l’intérêt qu’il avait à s’emparer de cette position, les habitants, de leur côté, menacés de voir couper les communications entre la haute et la basse ville, s’y défendirent avec l’énergie du désespoir ; mais ils n’étaient pas en nombre suffisant et furent obligés de céder après avoir infligé des pertes sensibles à l’ennemi.
Tout le quartier de la Daurade, du Pont-Neuf à la Cathédrale, se trouvait donc avant la fin du premier jour du siège, au pouvoir des protestants. Enhardi par ce succès, pendant que le roi de Navarre luttait contre Vezins dans la rue qui conduit de la Daurade à la Cathédrale, le vicomte de Turenne marcha à l’Hôtel-de-Ville. De Thou prétend que l’Hôtel-de-Ville fut pris par le capitaine Chouppes ; il nous est impossible d’admettre cette assertion, la plupart des historiens affirmant que Chouppes n’arriva qu’à la fin du siège. L’abbé de Fouilhac dit bien que Chouppes était au premier assaut, mais Sully qui joua dans l’affaire un rôle assez important, assure qu’il ne vint que le dernier jour.
L’IIôtel-de-Ville fut emporté, et Henri s’y établit pour se trouver au centre même de la ville et mieux diriger les opérations contre les assiégés qui s’étaient concentrés autour des barricades élevées au coin delà Cathédrale. Il les en délogea après une mêlée sanglante. Ainsi, malgré la résistance et la valeur des habitants de Cahors, les Huguenots, dès le premier jour, avaient fait de grands progrès.
La nuit se passa sous les armes ; les assiégeants et les assiégés étaient pleins d’ardeur et de confiance : ceux-ci comptaient sur les secours que le reste de la province ne pouvait manquer de leur envoyer, ceux-là attendaient Chouppes à qui l’on avait mandé d’accourir en toute bâte.
Le temps fut bien employé par les Cadurciens. Ils couvrirent les rues de barricades, mirent les couvents, les églises, les principales maisons en état de défense et attendirent l’ennemi de pied ferme.
Le combat recommença le lendemain, et, grâce aux précautions prises, aux obstacles élevés pendant la nuit, les huguenots ne gagnèrent que peu de terrain. La garnison et les bourgeois s’étaient retranchés auprès du collège Pélegry, les boursiers avaient tendu des chaînes, et du haut de ces retranchements ils faisaient sur les ennemis un feu incessant et meurtrier. Pour faire sauter les chaînes, on employa les saucisses, mais inutilement. Henri était à la tête de ses troupes ; il courut dans cette attaque les plus grands dangers, sous une grêle continue de balles et de pierres, dans une rue où quatre hommes pouvaient à peine passer de front. Salignac y fut repoussé trois fois ; il chercha alors à tourner la barricade et sortit de la ville par le portail Garrel. Déjà la veille, il avait demandé à être chargé de l’attaque de la Chartreuse où il espérait trouver un riche butin. Mais comme il fallait avant tout enlever les barricades du sud et du centre de la ville, le Roi renvoya cette attaque au lendemain. Le projet de Salignac ne manquait pas d’habileté et de hardiesse. Il voulait pénétrer dans la ville par le faubourg de Labarre et les portes du nord, et prendre à revers le collège Pélegry. Heureusement pour eux, les Cadurciens se tenaient sur leurs gardes, et Salignac n’osa pas avec sa petite troupe exécuter son dessein qui ne pouvait réussir que par surprise. L’idée qu’il avait émise ne tarda pas cependant à porter ses fruits. Pour diviser les forces des assiégés, les huguenots se décidèrent à forcer les monastères qui se trouvaient en dehors des remparts comme des sentinelles avancées.
Le vicomte de Gourdon, à la tête de deux forts détachements, marcha contre la Chartreuse. Aidés de quelques soldats que Vezins y avait placés, les religieux essayèrent de résister, mais ils ne purent longtemps arrêter l’effort des calvinistes. Dom Bruno Malvezin dit bien que la Chartreuse, fortifiée depuis l’année 1561, où elle avait été pillée par les sectaires et les écoliers, tint pendant près de trois jours, mais le siège de la ville entière ne dura guère plus. Les portes du couvent furent bientôt enfoncées ; le prieur D. Delubra et quelques autres religieux furent faits prisonniers et conduits dans la maison de Regourd.
L’église fut profanée, les statues mutilées ; mais le vicomte de Gourdon ne laissa pas ses soldats s’arrêter à un pillage dangereux. Il continua sa marche, s’empara des couvents des Augustins et de Sainte-Claire, emporta sans peine quelques barricades dans des rues écartées et attaqua le faubourg de Labarre. La porte avait été fortifiée de telle sorte que tous les assauts furent inutiles, et les réformés furent obligés de redescendre vers le centre de la ville, vers le collège Pélegry qui se défendait toujours. De nouveaux efforts rendirent les assaillants maîtres de quelques quartiers plus faibles et des remparts depuis le Portail-Garrel jusqu’à Labarre.
Il ne restait plus aux Catholiques que la partie delà ville située au levant, de la Citadelle au collège Pélegry. Les assaillants avaient fait sans doute d’immenses progrès, ils s’étaient emparés des murs et des deux tiers environ de la cité, mais les points les plus forts et les plus redoutables de la place n’étaient pas même entamés. De la citadelle au collège Pélegry s’étendait une longue suite de hautes maisons aux murailles épaisses, que dominait et protégeait encore le château du Sénéchal.
Toutes les maisons étaient barricadées et tout ce qui restait de soldats, de bourgeois, d’artisans et d’écoliers valides, s’y étaient fortement retranchés. Dès la première alarme, les élèves des collèges de Rodez et de St-Michel étaient venus se joindre à leurs camarades de Pélegry ; les étudiants de l’Université s’étaient empressés de prendre part au combat, et cette turbulente et courageuse jeunesse ajoutait un précieux appoint aux forces défensives des habitants. Malgré l’absence de Vezins, que sa blessure avait forcé à se retirer dès le soir du premier jour du siège, les assiégés excités par les consuls et par la nouvelle d’un prochain secours, ne parlaient pas de mettre bas les armes.
Jamais lutte ne fut plus opiniâtre. Une barricade était à peine emportée qu’une autre s’élevait quelques pas plus loin, et sous le feu continuel, qui partait des toits et des fenêtres, les huguenots étaient parfois obligés de reculer. Aussitôt les assiégés profitaient de ce répit et construisaient de nouveaux retranchements. Voyant que ce quartier de la ville était le seul qui résistait, le Roi ordonna d’attaquer le collège. Il s’y transporta lui-même et fit mettre le feu aux portes. Mais les retranchements de la rue principale et des petites rues qui y aboutissent, empêchaient l’attaque d’être générale et simultanée. Pour faire disparaître ces obstacles, Henri fit amener les pièces d’artillerie prises à l’Hôtel-de-Ville et sur la place des Petites-Boucheries. Elles furent placées sous le couvert de Massaut et battirent en brèche les barricades. La plus forte fut enlevée par le Roi de Navarre en personne. Voyant qu’ils ne pouvaient résister au feu de la batterie, les boursiers de Pélegry se rallièrent avec les autres étudiants et le reste de la garnison, et firent une sortie furieuse, une tentative désespérée. Décidés à vaincre ou à mourir, ils se précipitèrent à l’arme blanche sur les assiégeants, dès que la brèche eut été à demi ouverte par le canon dans leurs retranchements. Les huguenots ne purent résister à ce choc. Après un sanglant combat ils durent battre en retraite, jusque sur la place. Les Cadurciens rentrèrent alors dans le collège qu’ils fortifièrent encore, et remirent leurs barricades en état.
Ils y travaillèrent pendant toute la nuit. Des deux côtés on espérait des secours ; le roi de Navarre attendait avec impatience Chouppes auquel il avait mandé d’accourir en toute hâte ; les Cadurciens étaient certains de voir arriver avant peu des renforts, et cette certitude ranimait leur ardeur.
Epuisé de fatigue, Henri venait à peine de s’endormir quand on vint lui annoncer que le secours attendu par les assiégés était en vue et approchait de la ville du côté de Labarre. Si le renfort pénétrait dans la place, tout était perdu, il fallait battre en retraite et ne plus songer qu’à empêcher la retraite de se transformer en déroute. Si, au contraire, on parvenait à le repousser, désespérant d’être désormais secourus, les assiégés n’opposeraient plus qu’une faible résistance et ne tarderaient pas à se rendre à discrétion.
Dans le conseil de guerre que le roi tint à ce sujet avec ses principaux officiers, il fut arrêté qu’il fallait à tout prix réduire la ville avant la jonction, et pour cela, rassembler autour du prince tous les soldats les plus résolus et attaquer la garnison dans ses derniers retranchements. La place une fois conquise, les troupes de secours, devenant inutiles, se retireraient sans combat.
La décision prise en conseil fut aussitôt mise à exécution ; les protestants attaquèrent le faubourg de Labarre. Ils ne réussirent pas mieux qu’aux premiers assauts. Quelques heures après on revint à la charge, en attaquant des deux côtés, en marchant contre Labarre et contre le collège ; Vains efforts ! Malgré leur vaillance, les réformés ne faisaient aucun progrès.
La situation devenait critique. Malgré leur intrépidité, ne pouvant forcer la place, les bandes protestantes, affaiblies par la lutte meurtrière des jours précédents, épuisées par le manque de sommeil et de nourriture, commençaient à faiblir et à donner des signes non équivoques de découragement.
« Pendant trois nuits, dit Sully dans ses Mémoires, il y eut incessamment de grandes alarmes sur les bruits de secours, mêlées d’arquebusades, voix, cris et tel tintamarre et confusion de toutes parts qu’on n’a guère vu de choses plus dignes de remarque. La ville étant de grand circuit, il n’était plus possible, vu le peu de gens de guerre qu’avait le roi de Navarre, qu’il pût plus faire partout les gardes nécessaires, tant nous étions tous las, altérés, affamés et travaillés de sommeil, y ayant déjà trois jours et trois nuits que nous étions armés, sans avoir entré en maison, bu ni mangé qu’un coup et un morceau par ci par là, en combattant, ni dormi que tout debout, nos cuirasses appuyées sur quelques étaux de boutique. »
Le découragement des soldats envahit le cœur même des plus braves capitaines. Devant une telle résistance, voyant leurs gens prêts à lâcher pied, désespérant de mener à bonne fin une entreprise dont les débuts avaient été si heureux, ils songèrent, pour éviter un désastre, à une prompte retraite.
Ils allèrent trouver le roi. Depuis le commencement de l’action, Henri avait montré, comme d’habitude, la plus brillante valeur. Malgré une légère blessure à la tête, il avait voulu rester au milieu de ses soldats. Son armure faussée en maint endroit, et couverte de sang, témoignait de la part qu’il avait prise à la lutte. Alors, au milieu delà rue, sous une pluie de fer, de pierres et d’huile bouillante, fut tenu comme une espèce de conseil de guerre. Après une courte discussion, comme le comportaient l’heure et le lieu, la majorité opina pour la retraite. Il ne restait plus à connaître que la décision du prince. Entre le danger présent et la honte de la fuite, il n’hésita pas. Il pensa que s’il ne prenait pas la ville, il pouvait- du moins y trouver un tombeau glorieux, et cette perspective plaisait à son cœur de gentilhomme, à son courage de soldat. Aussi répondit-il immédiatement à ses lieutenants, avec un visage calme et serein que n’avaient pu altérer ni l’ardeur du combat ni les angoisses du moment : « Il est dit là-haut ce qui doit être fait de moi en cette occasion. Souvenez-vous que ma retraite hors de cette ville sans l’avoir assurée au parti, sera la retraite de ma vie hors de mon corps. Il y va trop de mon honneur d’en user autrement ; ainsi, qu’on ne me parle plus que de combattre, de vaincre ou de mourir. »
Sully, le vicomte de Gourdon, le vicomte de Turenne, applaudissent à ce chaleureux élan, à ces généreuses paroles. Ranimés par les paroles du prince, les réformés reviennent à la charge avec enthousiasme. Mais, encouragés par le succès de leur résistance, et par le découragement qu’ont montré les assaillants, les assiégés supportent le choc sans faiblir. L’héroïsme est égal des deux, côtés, inspiré, ici, par un ardent patriotisme, là, par le désir d’un immense butin. La lutte aurait pu se prolonger longtemps sans résultats sensibles, quand le Roi eut l’idée de concentrer tous ses efforts sur le collège Pélegry, véritable clef de la ville. Il le fit attaquer à la fois par la grande rue et par la rue du Pont-Neuf. En même temps, il le faisait battre par l’artillerie qu’il avait établie de l’autre côté de la rivière.
Le collège aurait résisté assez longtemps pour permettre aux catholiques du dehors d’arriver au secours de la place, quand un renfort inespéré survint aux huguenots. C’était Pierre de Chouppes, qui, après avoir reçu le message de son prince, courait droit au péril et amenait de la vicomté de Turenne cent cavaliers et cinq ou six cents arquebusiers. Sa troupe avait fait quatorze lieues en un jour. Quoique harassé de fatigue, il passa sur le ventre aux Cadurciens qui voulaient l’empêcher d’entrer dans la cité. Le Roi l’envoya contre le renfort si attendu des assiégés. Chouppes, aidé du brave Pidoux qu’on appelait le capitaine Nesde, partit avec vingt gentilshommes et cent arquebusiers. Il surprit les catholiques au moment où ils allaient entrer dans le faubourg de Labarre et parvint à les repousser. II redescendit ensuite vers le collège dont la garnison se défendait avec le courage du désespoir.
Vers le soir cependant, fatigués de cette résistance opiniâtre, les protestants résolurent de tenter un dernier effort. Pendant que les canons pris à l’Hôtel-de-Ville et aux Petites-Boucheries tiraient sur le collège de l’autre côté de la rivière, on mit le feu aux portes. Le feu et la fumée ayant chassé d’une fenêtre ceux qui la défendaient, Nesde qui s’en aperçoit, y porte une échelle, pénètre, lui troisième, dans le collège, ouvre la porte et livre passage à ses compagnons. Ce fut as horrible carnage ; après un combat corps à corps a sans merci, les soldats et les collégiats échappés à cette affreuse tuerie, sautèrent dans la grande rue par la fenêtres et gagnèrent quatorze barricades qu’on y avait élevées. Après s’être reposé un moment dans le collège, le Roi voulut compléter ses succès et donna l’ordre forcer, coûte que coûte, tous ces retranchements. La bataille recommença furieuse et acharnée, mais les soldats de Chouppes, ayant le prince à leur tête, ne tardèrent pas à emporter la plus grande de ces barricades. Les catholiques découragés s’enfuirent. On courut aussitôt vers Labarre, où la troupe de secours essayait encore d’entrer. Les protestants se rendirent maîtres des tours, des portes et des parapets, et le renfort fut obligé de se retirer, laissant la ville à la discrétion des vainqueurs. Si ce secours était arrivé un ou deux jours plus tôt, la place était sauvée, mais personne, ni dans la ville, ni dans la province, ne s’attendait à un pareil coup de main, si secrètement conçu, si rapidement et si hardiment exécuté.
Ainsi, après trois nuits et trois jours de combats sans trêve et d’assauts meurtriers la capitale du Quercy tomba au pouvoir des huguenots. Quoique nécessairement incomplet, notre récit prouve du moins qu’elle ne succomba pas sans honneur. Si l’attaque fut vive, la résistance fut opiniâtre. Elle ne dura pas cinq jours et cinq nuits comme l’affirment certains auteurs ; elle dura assez cependant pour montrer que, dans la vieille cité catholique, tout le monde fit son devoir. Comme les Gaulois, leurs ancêtres, les Cadurciens du XVIe siècle luttèrent vaillamment contre l’envahisseur, et la victoire, chèrement disputée, coûta à l’ennemi près de quatre-vingts morts et un grand nombre de blessés.
Commencé dans la nuit du 29 mai, le siège était fort avancé dans la soirée du 31. Nous n’en voulons d’autre preuve que la lettre écrite à cette date par le roi de Navarre à Madame de Batz, et dans laquelle il lui dit : « Le capitaine Navailles, que je dépesche par delà, vous desduira comme avons eu bonne raison de ces paillards de Cahors. » Le lendemain, 1er juin, il écrivait encore à M de Scorbiac : « Je croy que vous aures este bien esbahi de la prise de ceste ville ; elle est aussy miraculeuse, car aprez avoir esté maitre d’une partie, il a fallu acquérir le reste pied à pied, de barricade en barricade ». Témoignage honorable et flatteur pour notre amour-propre de Quercinois ! Mais le roi de Navarre eut le tort de permettre le pillage de la ville conquise, et les huguenots s’y livrèrent à toutes sortes d’excès. Les chefs eux-mêmes donnaient l’exemple, et Sully, l’intègre Sully, ne se fit pas scrupule de prendre pour sa part du butin un coffret contenant quatre mille écus en or. Les églises (13), les communautés religieuses, beaucoup de maisons particulières, notamment les maisons de Regourd et d’Hauteserre, furent saccagées sans pitié. Les portes de la Cathédrale furent enfoncées avec des pétards, les reliques jetées au vent, le sarcophage de saint Didier brisé, le trésor de la basilique partagé entre les vainqueurs. Les collèges eux-mêmes ne purent échapper à la rapacité des huguenots. Les meubles et les titres de propriété des divers monastères, furent brisés et déchirés.
Le récit des atrocités commises à la Chartreuse donnera une idée du vandalisme des protestants.
« Les protestants, dit dom Malvezin, renversèrent les autels, décollèrent, à force de coups, les statues des saints et s’en servirent en guise de boules. On voit encore parmi les monuments sacrés de cette église les figures décapitées de la sainte Vierge et des trois Rois. Ces impies ne se bornèrent point au ravage et à la profanation de tout ce qui se présenta sous leurs mains sacrilèges, ils allèrent fouiller dans les tombeaux, croyant y trouver le trésor qu’ils cherchaient. Ne pouvant satisfaire leur cupidité, ils assouvirent leur rage sur les cendres des morts qui furent le jouet des vents ; ils brisèrent les tombes où étaient gravées les épitaphes des bienfaiteurs du monastère, perte regrettable pour l’histoire de la maison et de la province. Les seules qu’ils épargnèrent furent celles de deux seigneurs de Vayrols. Ils eurent aussi quelques égards pour le mausolée d’Antoine de Roquefeuille. »
« La considération de quelques officiers du parti pour la famille de Roquefeuille, et le souvenir de ce qu’ils avaient eu la retraite dans le château de Vayrols avant l’attaque de la ville, les empêchèrent de briser les monuments funèbres qui appartenaient à ces illustres maisons. »
« Tandis que les uns saccageaient l’église, les archives, les tombeaux et les cellules, les autres voulurent travailler à faire de la poudre à canon, et choisirent pour atelier un des bâtiments les plus sacrés de la communauté, la chapelle des Morts. »
« Les femmes du tempérament le plus lubrique y ayant été introduites par les sectaires y prirent des habitations à demeure et firent du séjour de la vertu le rendez-vous de la débauche la plus effrénée. »
« Les religionnaires étendirent leur pillage, non-seulement sur les cellules des solitaires, mais encore sur les biens meubles et immeubles de la communauté ; ils s’emparèrent de leurs rentes et droits seigneuriaux, saisirent leurs grains, emportèrent les titres de leurs archives, enlevèrent les calices et les ornements qui pouvaient donner de l’or et de l’argent pour les livrer au fondeur et on tirer des lingots. Le marquis de Montcléra qui, aussitôt après la prise de Cahors, se donna un logement sur leur couvent, retint ce qu’il y avait de mieux parmi les papiers, et on n’a pu les recouvrer. Quelques-uns furent portés au château de Duras où ils sont encore ; quelques-uns, selon d’autres, ont fait le voyage de Londres. Enfin, on jeta les moins importants dans le puits d’où on les a dans la suite retirés presque entièrement, illisibles. Les reliques seules furent épargnées, grâce aux soins pieux d’un saint religieux qui les cacha vers le coin du jardin. »
De même, les titres et manuscrits du collège Pélegry furent déchirés et dispersés (14). Pas une maison de la ville n’échappa au pillage, et quiconque voulait s’opposer à ces infâmes violences était massacré sans pitié.
Henri de Navarre aurait voulu modérer la fureur de ses soldats, mais son autorité était impuissante à les arrêter, et ces scènes de désolation et d’horreur, ces sanglantes représailles durèrent plus de deux mois, puisque à la date du 3 août 1580, le prince écrivait de La Force au vicomte de Gourdon, à qui il avait confié le gouvernement de la ville : « J’ay entendu que l’on desmolit tous les temples et monastères de la ville de Cahors : qui est contre mon intention et la deffence expresse que j’en ay faicte pendant que j’y estois. Je vous prye empescher tels désordres et faire seullement abattre le couvent des Jacobins, parce qu’il nuict à la garde de la ville, voullant qu’il soit entièrement razé… Je suis fort mal content de ce que les pillages ont si longuement continué, et que n’avez mieulx tenu la main à les empescher. »
La prise de Cahors eut un grand retentissement dans toute la France. Henri III en fut profondément affecté. En pleine cour du Louvre, devant plus de deux cents gentilshommes, il reprocha à Pibrac, le chancelier de Marguerite, les cruautés dont les huguenots victorieux s’étaient rendus coupables, et manifesta hautement son mécontentement.
L’évêque de Cahors, Antoine Ébrard de Saint-Sulpice, était à Rome pendant ces événements. Dès qu’il en eut connaissance il se rendit à Paris, et montra au roi qu’il y allait de son intérêt et de son honneur de ne pas laisser aux mains des réformés une ville si dévouée à la religion et à la couronne. L’oncle de l’évêque, le maréchal de Biron, fut chargé de la reprendre. S’étant transporté à Salviac, il résolut de la recouvrer par escalade durant la nuit. Mais ayant reçu des ordres pour agir ailleurs avec son armée, il ne put exécuter ce dessein et en chargea le sieur de Malleville qui ne put réussir, tant la place était bien gardée.
Cahors resta au pouvoir des protestants pendant plus de huit mois. La paix de Fleix la rendit aux catholiques, et au mois de février 1581, le vicomte de Gourdon, sur l’ordre du roi de Navarre, remit la ville au Sénéchal de Vezins. En lui confiant de nouveau le gouvernement de la cité, le roi rendait un juste hommage à la vaillance de l’héroïque capitaine, dont tous les habitants saluèrent avec joie le retour.
Ebrard de Saint-Sulpice ne tarda pas aussi à rentrer dans sa ville épiscopale. Il consacra tout son patrimoine et les revenus de son évêché à soulager les nombreuses misères occasionnées par la guerre et quelques mois lui suffirent pour faire disparaître en grande partie les traces du désastre.
Ainsi finit ce triste épisode de nos discordes civiles. Près de trois siècles se sont écoulés, et le souvenir des scènes de carnage et de vengeance dont notre ville fut à la fois le théâtre et la victime, vit encore dans le cœur indigné de tous les Quercynois. Tant il est vrai que le vainqueur, pour se faire pardonner sa victoire, a besoin d’être clément et généreux, et surtout ne doit jamais se permettre ces monstrueux abus de la force dont nous avons eu récemment de si déplorables exemples, et dont la mémoire, se perpétuant de génération en génération, entretient dans toutes les âmes le désir de la vengeance et la haine de l’envahisseur.
En écrivant ce récit, nous avons voulu rendre un pieux hommage à l’héroïsme de nos aïeux. Puissions- nous profiter de leurs mâles leçons ; puissions-nous comme eux rester toujours fidèles à la religion, à la patrie et à la liberté !
M-J BAUDEL (Cahors 1er septembre 1877).