Eté 1428 : les Anglais évacuent le château de Mercuès.
Cela faisait maintenant plus de 80 ans que durait le conflit opposant les royaumes de France et d’Angleterre : les Quercinois avaient l’habitude de lutter contre les compagnies anglaises, qui menaient des raids en partant du Périgord voisin ou depuis les forteresses dont elles parvenaient à s’emparer dans la province.
Depuis la fin 1426, les habitants de la région de Cahors avaient tout particulièrement à souffrir de la garnison installée au château de Mercuès. Celui-ci, possession de l’évêque, avait été pris par un chef anglais, le Captal de Buch, à la tête de ses troupes et de détachements provenant des garnisons installées aux châteaux de Clermont-le-Gourdonnais et de Puycalvel. Cette action avait semble-t-il été entreprise en représailles contre la ville de Cahors parce qu’elle tardait à payer ce qu’elle devait au capitaine anglais Beauchamp, à qui elle avait acheté son départ du château de Cessac deux ans auparavant.
Depuis Mercuès, les Anglais organisaient des razzias dans tout le pays, chevauchant même jusqu’à Figeac, d’où ils ramenaient force butin et prisonniers, ces derniers étant destinés à être libérés contre rançon. L’évêque et la municipalité de Cahors essayèrent de réagir en septembre 1427 en organisant une assemblée où officiers royaux, communes, nobles et ecclésiastiques devaient se concerter sur les opérations à entreprendre contre cette garnison ; il ne sortit malheureusement rien de concret de cette réunion et aucune action ne fut mise sur pied, probablement parce que l’ensemble des participants songeaient avant tout à défendre leurs propres localités plutôt que de risquer de l’argent et des hommes au seul bénéfice de Cahors. Se retrouvant plus ou moins seuls face aux redoutables guerriers retranchées dans le château, les consuls cadurciens négocièrent un traité avec eux : les Anglais acceptèrent de cesser leurs déprédations en échange de paiements en argent et en vivres.
Ils ne tinrent cependant pas leurs engagements : au cours du premier semestre 1428, ils brûlèrent ou endommagèrent des récoltes sur pied et attaquèrent les issues de la ville à plusieurs reprises ; ils montèrent aussi de nombreuses embuscades pour capturer des habitants, dont l’une, le 1er mai, leur permit de prendre onze jeunes gens d’un coup. Ils ne faisait pas bon se trouver sur leur chemin lorsqu’ils avaient été gravement mis en échecs par la défense de la ville : deux petits vieux en firent l’amère expérience en étant blessés à mort du côté de Sainte-Valérie.
Au printemps, les nouveaux consuls de la ville, qui venaient d’être élus, décidèrent de prendre sérieusement les choses en main et de chasser les Anglais de Mercuès. Pour renforcer leurs troupes, ils lancèrent un appel à l’aide dans toute la province puis, en attendant l’arrivée des renforts escomptés, engagèrent 50 cavaliers et fantassins et leur donnèrent pour mission de gêner le ravitaillement des Anglais depuis les villages d’Espère et de Mercuès.
Les premiers contingents envoyés à l’aide de Cahors commencèrent à arriver le 17 juillet. Il n’y avait pratiquement que des troupes seigneuriales car la plupart des communes, dont Figeac, Montauban et Moissac, choisirent de s’abstenir, ne voulant pas se séparer de forces qu’elles estimaient indispensables à leurs propres protections ; quant aux bourgs de Lauzerte et de Montcuq, ils étaient ravagés par une épidémie et ne pouvaient fournir le moindre combattant.
Au début du mois d’août l’effectif des renforts était de 113 hommes d’armes à cheval, 63 arbalétriers et 3 archers. Ajoutés aux propres troupes de Cahors, qui se montaient peut-être à 4 ou 500 hommes, ils constituaient une force suffisante pour attaquer Mercuès. Il fut convenu qu’il était nécessaire, avant de s’en prendre au puissant château, d’éliminer la menace constituée par la garnison de Clermont-le-Gourdonnais, qui pourrait gêner les opérations si on ne la neutralisait pas. Le plan élaboré contre elle était simple : on marcherait secrètement toute une nuit pour mener un assaut par surprise au petit matin, appuyé par le feu de 2 bombardes. Les troupes françaises se mirent donc en route au soir du mercredi 3 août, puis marchèrent toute la nuit avant de lancer l’action à l’aube, comme prévu. La surprise paya, car l’attaque fut couronnée de succès et les Français se rendirent très rapidement maîtres du château sans avoir une seule perte à déplorer. On y mit le feu avant de partir.
Clermont pris, on put se préoccuper de Mercuès. Il était évident que cette position ne tomberait pas aussi facilement et qu’il allait falloir la contraindre à la reddition par un siège bien mené. On s’inquiéta en premier lieu d’empêcher son ravitaillement en eau, qui se faisait par des corvées descendant jusqu’à la rivière du Lot : une grosse gabarre fut « blindée » à grand renfort de planches, équipée de canons et de grandes arbalètes ; pourvue d’un équipage de combattants, elle fut envoyée, le 14 août, s’amarrer en bas du château pour interdire à ses défenseurs de s’approvisionner en eau. Six jours plus tard, le reste des troupes, qui s’étaient encore accrues de 9 hommes d’armes à cheval et de 7 arbalétriers, allèrent investir la forteresse de tous les côtés ; le village de Mercuès, en bas du château, devint le point fort du dispositif de siège : son enceinte fut renforcée par de petites tours charpentées armées de canons, de grandes arbalètes et précédés de haies de pieux, l’ensemble pouvant tout autant faire face à une sortie des assiégés qu’à une attaque venant de l’extérieur, car des renseignements faisaient état d’une armée de secours partie de Bordeaux pour venir aider la garnison assiégée. D’autre part, des bombardes et un trébuchet furent rapidement mis en batterie : les boulets de pierre de plus de 100 kilos tirés par le second détruisirent rapidement la toiture de la forteresse et les pièces qu’elle abritait.
Alors que le siège durait depuis 2 semaines, l’armée de secours anglaise, forte de 1500 cavaliers et commandée par le Captal de Buch, arriva le 7 septembre et se mis en position pour lancer une attaque. Toutefois, voyant les dispositions prises par les Français et doutant de les vaincre facilement, son chef décida de négocier : il offrit de faire abandonner les lieux par ses hommes et de faire évacuer le château contre un fort paiement ; les Quercinois, comptant que le siège leur coûtait 300 moutons d’or (type de monnaie) par jour et évaluant la menace constituée par les troupes du Captal, qui pouvaient franchir le Lot et aller s’en prendre à Cahors, acceptèrent de négocier. Par chance, le niveau de la rivière monta durant la nuit et, au matin, le gué de Mercuès était infranchissable, éliminant ainsi la menace qui pesait sur la rive opposée et Cahors : les consuls proposèrent alors au Captal le paiement d’une « pièce de tissu de Damas » et de 1600 moutons d’or en échange de son départ ; bloqué devant Mercuès et sans possibilité de manœuvrer, il ne put qu’accepter ces conditions finalement assez désavantageuses.
Les défenseurs de Mercuès quittèrent donc librement le château en passant au milieu des assiégeants contre qui ils s’étaient durement battus ; ils rejoignirent l’armée de secours et repartirent calmement avec elle sans causer de nouvelles déprédations. Entrant dans le lieu qu’ils venaient de reconquérir à coups d’épées et d’argent, les Quercinois découvrirent une forteresse aux toits éventrés et aux intérieurs ruinés par 17 jours de combats. Il fallait rapidement la remettre en état : les compagnies anglaises étaient encore nombreuses à opérer dans la région
Ci-dessous la photo du folio 157 V du Livre Tanné (Archives Municipales de Cahors), où il est question de "la nau", la gabarre qui fut blindée et armée par les Cadurciens, puis positionnée sous le château de Mercuès pour empêcher les Anglais d’aller chercher de l’eau.