Jules Malrieu : Le Credo

, par Claude Vertut

EXTRAIT DE L’OUSTAL de Jules Malrieu
Réédition Arno Krispin et Paul Poulet

LE CREDO
Sur l’initiative et sous le patronage de la Société des Etudes du
Lot, au cours de l’année mistralienne, le 15 mai 1930, est né un
groupement qui a pris pour vocable « Lous Grels carsinols »,
société composée de Quercinois ayant à coeur de faire revivre la
vieille littérature de notre terroir et de maintenir notre langue
patoise, armature de nos traditions ancestrales. De cette société,
dont M. Daymard est le doyen, on m’a fait, parce que le plus
vieux après lui, le Président.
Quelques-uns des grillons qui m’ont élu m’ont reproché de
n’avoir apporté à cette présidence que la lente activité d’un roi
fainéant. Que ne choisissaient-ils un prince plus jeune ? Il est une
lenteur qui pourrit les affaires, il en est une autre qui les mûrit. Je
m’explique.
Le grillon, de sa nature, est sédentaire : il habite au fond d’un
trou. Il n’y a ni croix, ni bannière pouvant l’en faire sortir. Son
chant est solitaire et triste. Pourtant, aux nuits de juillet et d’août,
il arrive, grisés par le soleil qu’ils ont bu toute la journée, que les
grillons remplissent, de la sonorité de leur voix, le creux immense
de la voûte étoilée. Mais alors, il n’y a parmi eux de chef d’orchestre,
il n’y a de choeur concerté. Chaque grillon chante de sa
stalle. La stalle fermée de son trou. Chacun dit sa prière et chante
sans souci du voisin. C’est de ces prières individuelles et de ces
chants, d’un égoïste amour, qu’est faite l’énorme rumeur dont
vibre le ciel.
 19 -
On conçoit dès lors la difficulté de mobiliser des êtres si attachés
à leur demeure. Une fanfare, loin de les exciter à sortir,
n’aurait eu d’autre effet que de les faire reculer jusqu’au plus profond
de leur trou. Il n’en est pas de la mobilisation des grillons,
comme de celle des cigales et des abeilles. Je n’ai pas cru devoir
sonner de la trompette ou battre du tambour. Et, à supposer que
quelques grillons eussent répondu à mon appel, songez-vous à
l’effet lamentable de cette maigre escorte - perdue dans la vaste
étendue du Causse sec et lumineux - en marche sur Cahors ?...
Pouvais-je prendre la responsabilité d’aventurer cette troupe
désarmée, et si faible, en rase campagne ? Avant d’esquisser une
sortie, il fallait s’assurer d’un peu d’aide et de protection ; il fallait
obtenir de l’extérieur, pour faire figure décente, un peu de prestige
littéraire, dont nous étions, grillons quercinois, totalement
démunis.
Il est, parmi cette formidable, confuse et disparate escadre littéraire
encombrant, dans Paris, les quais de la Seine, vaisseaux de
tous bords et barques de tout tonnage, un homme qui a su conserver
à sa gabarre, sous les couleurs toujours fraîches de son
pavillon de France, la tonalité, l’empreinte de la rive d’où elle est
partie. Quoique amarrée en Seine, elle sent son Quercy. Mandaté
par les plus sages de mes frères les grillons, le Sénat de la Confrérie,
je suis allé frapper à la porte du conteur de la Chèvre de Pescadoire,
de Y ECU de Jean Clocbepin, de la Felouque bleue et des
Abeilles mortes, pour lui demander de devenir notre président
d’honneur. - « J’accepte de grand coeur, m’a répondu M. Léon
Lafage. Vous faites oeuvre pie ! Toutes les fois que j’ai eu l’occasion
depuis plus... de 20 ans, j’ai déploré le décri du parler natal
et « célébré » ses vertus. Ce croquant a sa noblesse. Maintenons.
Et récupérons du soleil. »
Nous maintiendrons. Nous prendrons de son poil au soleil,
ne le laissant plus se coucher sans garder aux mains un peu de ses
 20 -
rayons. C’est de cette confiance qu’est fait le Credo, ce Credo
qui est un acte de foi et aussi un cri d’espérance.
Grillons, mes frères, nous ne sommes plus isolés. Nous chanterons
plus fort la saison prochaine et serons nombreux sur la
route de Cahors. Pour nous conduire et nous défendre nous
avons un berger. N’entendez-vous pas le Fifre de Buis ?
Figeac à la fin du siècle dernier
 21 -

Le Credo traduction française

Je suis heureux de pouvoir dire en votre présence - Ce que
j’ai à dire ici, et il me semble joli - De commencer par vous
cette confidence - Sur la langue du berceau d’où nous sommes
sortis.
Car nous le sommes, pas vrai ? Attachés à la terre - Où
nous sommes nés, et qui nous verra bientôt venir, - Je le dis
pour ceux (d’entre nous) qui sommes des vieux qui bientôt
auront fini - De parler... Il faut le faire tant qu’il en est temps
encore.
lll
Et j’y suis, moi, à Cahors, à parler devant vous, - A parler
du pays, comme un pâtre, pécaïre, - Qui, le soir, au foyer,
couvre de baisers sa mère - Qui, contente, lui rend, sans
compter, ses baisers.
 22 -
IV
A vous tous qui gardez au coeur la souvenance - Du berceau
et de la maison, je voudrais, d’ici, parler : - Comme de
votre blé, paysans du Ségala - Et du Causse, gardez du
patois la semence.
Qu’ont laissée les anciens qui sont morts. Il faut d’ici - Le
crier : nous crierons. On entendra de la plaine... - Nous
allumerons un feu, nous brandirons la cloche, - La lumière
s’en verra de partout en Quercy.
VI
Mais je ne suis pas seul à dire cette messe : - Des clercs il
m’en faut pour chanter le Credo, - Un Credo qui n’est pas
dans tous les Ordo, - De chanter vous êtes là pour en faire la
promesse.
vu
Allez, nous y sommes plus d’un, Figeacois, Gramatois, -
Ségalins, Viscomtins, qui avons en la tête l’idée - Depuis
longtemps, ici, d’y bâtir église - Pieuse, vouée au culte du
patois.
 24 -
VIII
Et nous ne manquerons de chants ni de musique, - Le
Causse ne manque ni de grillons ni d’oiseaux ; - Là nous y
aurons toujours et orgues et missels - Pour de notre Quercy
chanter le vieux cantique.
IX
Notre langue est malade, et on veut nous la tuer. - Ce n’est
pas notre avis, cela, nous ne laisserons faire. - Qu’en ditesvous
ici ? La terre notre mère. - Nous crie. Avez-vous
entendu ? Hardi ! Il y faut courir.
Pour sûr, nous ne voulons pas étouffer l’autre langue, - Qui
se parle à Toulouse, à Bordeaux, à Paris : II n’y a, sous le
soleil, de plus clair langage, - Qui s’entend de partout, de
quelque endroit qu’il vienne.
XI
Nous le parlons le français, et bien le garderons, - En France
nous faisant de chacun ou l’ami ou le frère, - Que parle le
soldat, l’ouvrier, le laboureur, - Des Alpes à la mer, de la
Garonne au Rhin.
 26 -
XII
Mais je veux la garder la maison qui m’a vu naître, - Avec le
parler qu’elle a toujours entendu ; - Je la laisserai telle que
moi je l’ai reçue - Quand j’en aurai fini de brasser ma
besogne.
XIII
Que viennent-ils chanter ces Francimans - Que le patois est
mort ? Qu’ils n’en connaissent rien, - Comme un âne qu’ici
voudrait parler musique. - Notre langue n’est pas pour vos
instruments.
XIV
Aussi bien que le français elle est, elle, claire et nette. - Elle
sonne, dit Bessou, comme une clarinette, - Et s’il faut faire
du bruit, - on en fait dans le Midi, - Plus fort que le français
elle gronde comme un tambour.
XV
Mais s’il faut parler fin, comme fleurs au rameau, - Les mots
se font jolis, et comme une amoureuse - Qui parle à son
galant, notre si douce langue - S’étire qu’on dirait les fils
dorés du miel.
 28 -
XVII
Ah ! Malheur, me disait Bessou, que j’ai connu. - Un poète
aussi grand que Mistral et Virgile. - Ah ! Malheur, à celui
qui de sa vie oublie - Le parler du berceau et la maison où il
est né.
 30 -
Lo Credo
A/s grelhs carcinàls
Soi urôs de poder dire en vostra presença
Ço qu’ai a dire açai, e me sembla polit
De comenqar per vos aquela confidença
Sus la lenga del brèç d’ont avèm espelit.
Car li sèm, pas vertat ? estacats a la terra
Ont sèm nascuts, e que nos veirà lèu venir...
Zo disi per los vièlhs que lèu aurem finit
De parlar... Cal zo far tant que n’es temps enquèra.
E li soi,(ioj a Câors, a parlar davant vos,
A parlar del pais, coma un pastre, pecaire,
Que, lo ser, al canton, potoneja sa maire
Que, contenta, li rend, sans comptar, sos potons.
 23 -
IV
A totes qu’an gardât al cur la sovenença
Del brèç e de l’ostal voldria (dSaçài parlar,
Coma de vostre hlat, païsans del Segalar
E del Causse, gardatz del patoès la semença,
v
Qu’an laissât los anciens que son morts. Cal d’aid
2.0 cridar : cridarem. Entendràn de la plana...
Alucarem un fubc, brandirem la campana...
L’esdaire se veirà de pertot en Cardn.
VI
Mes li soi pas tôt sol a dire aquela messa :
Dels dergues n’ai besonh per cantar lo Credo
 Un Credo que n’es pas dins totes los Ordo -
De cantar sctz aqui per ne far la promcssa.
Tirât/., li sèrn mai d’un, Fijagols, Gramatoès,
Segalirif, Viscomtins, qu’avèm al cap l’idèia,
rL>t"npt-, :i longtemps, açai de li bastir la glèia
Pietadosa vodada al culte del patoès.
 25 -
VIII
E ne mancarem pas de cants et de musica,
Lo Causse manca pas ni de grelbs ni d’ausèls
Aqui n’aurem totjorn dels orgues e missels
Per de nostre Carcin cantar lo vièlh cantica.
IX
Nostra lenga es malauda, e la nos volon tuar.
Sèm pas d’aquel avis, zo laissarem pas faire.
Que ne disètz açai ? La terra nostra maire
Nos aida. Avètz ausit ? Ardit, li cal anar ! £>
De segur volèm pas estofar Vautra lenga
Que se parla a Tolosa, a Bordèu, a Paris :
N’i a pas jos lo solelh de plus clar parladis
Que s’entend de pertot, de quauqu’endrech que venga.
XI
Lo parlèm lo franqés, tan plan lo gardarem,
Qu’en França de cadun nos fa l’amie, lo fraire,
Que parla lo soldat, l’obrièr e lo lauraire,
De las Alpas a la mar, de la Garona al Rhen.
 27 -
XII
Mes lo voli gardar l’ostal que m’a vist nàisser,
Ambe lo parladis qu’a totjom entendut ;
Lo laissarai atal qu’anciens me l’an rendut
Quand n’aurai plan finit de b argar ma madaisse. \j,
XIII
De que venon cantar aquelses Francimends
Que lo patoès es mon, que ne coneisson brica,
Com’ un ase qu’aqai voldriâ parlar muska !
Nostra lenga n’es pas per vostres instruments.
XIV
Tan plan que lo francés es, ela, clara et neta ;
Tinta, ço ditz Besson, com’una clarineta,
E se cal far de bruch, - s’en fa dins lo mègjorn,
Pus fort que lo francés brunsis com’ un tambor.
XV
Mes se cal parlar fin, coma flors al ramèl,
Los mots se fan polits, e com’ una amorosa
Que parla a son galant, nostra lenga amistosa
S’estira que diriatz dels fiais daurats de mèl.
 29 -
XVI
Oc hen, la gardarem, que nos a dich quauqu’un,
"Tant que la luna blanca e las blancas estèlas
Fintaràn dins les prats nàisser las pimparèlas,
E tant que lo solelh del cèl nos farà lum. "
XVII
Malur, ço me disiâ Besson, qu’ai conescut,
Qu’èra poèta autant que Mistral e Virgila,
A ! malur a-n aquel que de sa vida oblida
Lo parlar de son brèç e l’ostal qu’es nascut.
 3l -