Emmanuel AEGERTER : CHAT illustré par un dessin d’Alain Goutal

, par Claude Vertut

CHAT

NOCTURNE compagnon des songes du poète,
Prince subtil et doux du monde inférieur,
Ironiste gardant, en sa fierté muette,
Des gestes onctueux et fourrés de Prieur,

Sorcier velu des nuits de lilas et de lune,
Que de fois, immobile et rêvant avec art,
Magnat baudelairien dans ta fourrure brune,
Assis près de mon livre, attends-tu mon regard ?

Je ressuscite, hélas ! ma jeunesse lointaine...
Je vois un vallon sombre et des prés familiers ;
Les diamants du soir sont au coeur des fontaines,
Le vent des beaux espoirs chante aux verts peupliers.

J’évoque le flambeau d’une ancienne veillée,
Quand des spectres voilés peuplaient les hauts miroirs,
Un rêve aigu d’oiseau dans une aube mouillée,
Les lourds buis d’amertume et les vieux désespoirs.

Ou je pense, hanté par des souffrances vaines,
 Car chacun porte en soi, ténébreux ou luisants,
Les grands fruits douloureux de toute-vie humaine —
A mes frères courbés sous des fardeaux pesants...

Mais quand, levant la tête et délaissant la page,
Je contemple, à la vitre aux jeux de diamant,
Une lune d’onyx que coupe un noir nuage,
Tes yeux clairs et pensifs me fixent longuement.

Sous la brusque lueur des choses éternelles,
Frissonnant tout à coup de comprendre ton sort,
Ah ! Cherches-tu mon être au fond de mes prunelles
Comme je cherche Dieu dans les étoiles d’or ?

Qu’est-ce donc, ce désir confus de connaissance,
Ce long appel d’angoisse à quelqu’un de plus haut
Qui vibre en chaque chair du jour de sa naissance,
Et monte en tournoyant comme un cri de gerfaut ?

Quel désespoir secret flotte dans le silence
Dont le cristal sépare en les réunissant,
L’animal qui médite et son maître qui pense,
Et quelle âme gémit d’être mêlée au sang ?

Un instant ton regard avec le mien se croise,
Qu’emplit d’ombre et d’effroi le spectre du Destin ;
Une question danse en sa double turquoise,
Danse, s’approfondit, s’exaspère et s’éteint.

Puis tu t’étends, velours mouvant, paresse altière,
Et gras, les yeux mi-clos, sans soucis et sans voeu,
Tu n’es plus, sur ma table, ô vivante matière,
Qu’un animal heureux de la lampe et du feu.

Roi des soirs précieux et des heures parfaites,
Boyard grave et lustré du somptueux hiver,
Abaissant sur la vie et ses étranges fêtes
Ta paupière paisible où filtre un sommeil vert.

(Le Voilier aux Diamants’).

Le petit chat et son Papa vous le trouverez ici :
https://www.facebook.com/utilisateuralaingoutal/posts/1584190951878404