Clément Bouscarel, le paysan-conteur de la...

, par Claude Vertut

Clément Bouscarel, le paysan-conteur de la Dordogne

Article publié dans le numéro de février (n°107), par Hélène, mis en ligne le 2 mars 2017

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12 balade contee clement bouscarel 2Enfant du pays. Nul autre qualificatif ne convient mieux à Clément Bouscarel. Pour se présenter, il cite d’ailleurs d’emblée ses ascendances géographiques, en occitan, comme s’il était né des Causses et de la Dordogne : « Je suis ’’riveirenc’’ par mon père, et ’’caussetier’’ par ma mère ». Et c’est en enfant aimant et reconnaissant qu’il raconte aujourd’hui ce Quercy qui anime toutes ses passions : les plantes médicinales, la rivière Dordogne, les gabares, les Causses. Hélène, animatrice sur Décibel FM est allée à la rencontre de Clément Bouscarel et nous publions ci-dessous quelques-uns de leurs échanges.
Clément Bouscarel se définit comme un paysan : fier de l’être et de le dire, peut-être pour rendre la part belle à tous ceux qui pendant des millénaires en avaient honte, de ce statut de paysan. C’est même devenu dans la langue française une insulte que de traiter quelqu’un de paysan, alors que quel plus beau métier que celui de nourrir les autres, de s’inscrire dans un paysage (d’être moulé par sa terre), une culture et être acteur d’un pays. La racine des mots est essentielle. On est passé de paysan à cultivateur, à agriculteur puis à exploitant agricole. Ça fait tout de suite mieux ! C’est comme les anciens, on ne dit plus vieux mais personnes âgées, et là on se dit que l’on va droit dans le mur, parce qu’un pays sans vieux, sans sage pour nous conseiller et préparer l’avenir...
Je suis Quercynois, même Haut-Quercynois et encore plus précieusement Creyssinois. C’est important de le dire, j’appartiens à cette terre, et des paysans à Creysse et en Chine, ou n’importe où dans le Monde se ressemblent énormément. J’ai plus de points communs avec un paysan malgache qu’avec un parisien du Xème arrondissement ! Même si je veux aussi parler à mon ami parisien du Xème, parce que son acte de consommation très loin de chez moi influence la nature sur la terre entière ! Et dire cela ce n’est pas être sectaire ou passéiste, bien au contraire, nous sommes allés trop vite et avons laissé le bon sens paysan derrière nous. Et nous en avons vraiment besoin pour cultiver la terre et élever nos animaux un peu mieux demain.
Le conteur nourrit le paysan et le paysan nourrit le conteur. J’ai besoin de travailler la terre pour avoir ce rapport avec la nature, mais j’ai aussi besoin de transmettre tout ça, d’en parler. J’ai conscience que le droit à la parole est quelque chose de puissant. Je suis un conteur-paysan engagé, j’ai mes idées et en parle pour préparer demain.
Ma mère m’a rapporté que quand j’avais trois ans, je racontais les histoires de monsieur Biqual, un personnage né du fruit de mon imagination à qui je rendais visite souvent. Plus tard, je faisais visiter mon village de Creysse aux touristes en leur racontant des histoires. Et même lors des troisièmes mi-temps au rugby, mais là encore c’est une autre histoire ! Et puis il y a 7 ou 8 ans, j’ai été embauché dans un village de vacances à Turenne où je devais aussi assurer des veillées. Et là je me suis senti capable de raconter les histoires que me racontaient mon grand-père et mon grand-oncle à un public de touristes qui venaient visiter la région. Ça m’a permis de redécouvrir ces histoires et surtout de constater que non seulement elles plaisaient au public, mais qu’elles constituent un patrimoine commun. Je ne me suis pas dit qu’un jour je serais conteur, ce sont les histoires qui m’ont rattrapé.

Hélène : Est-ce que tu es un tchateur ?
Clément : J’aime bien la tchatche, oui, j’aime bien cuisiner les phrases en mettant les mots qui me semblent justes, au bon endroit, et qu’à la fin ça sonne bien !

Hélène : Tu dis souvent que Creysse est le plus beau village du Monde…
Clément :Oui (rire), mais j’espère que tous les habitants de la planète pensent que leur village est le plus beau du monde ! On est à l’image de sa terre. Si j’avais été paysan basque, peut-être que j’aurais posé de bombes... ou pas ! La terre, le terroir façonnent ceux qui l’habitent.

Hélène : Et la Dordogne ?
Clément : C’est la plus belle rivière du monde ! C’est elle qui fait le lien entre tous ces terroirs et permet de voyager. La terre est très rationnelle, la Dordogne, c’est la spiritualité, l’évasion, le voyage. J’ai fait deux fois le voyage d’Argentat à Libourne, en gabarre avec la Confrérie des gabariers. Je l’ai aussi remontée jusqu’à sa source, seul à l’âge de 16 ans, à pied, du port de Creysse jusqu’au Puy-de-Sancy. Un voyage motivé par le proverbe de la vallée qui dit « qui ne connaît pas la source ne connaît pas la rivière ». En Celte, son nom veut dire « les eaux rapides et tumultueuses ». En plein hiver les eaux filent à 45 km/h, d’où son surnom de « la rivière du cheval au galop », (les gabarres allaient aussi vite qu’un cheval au galop). D’ailleurs quand les gabariers arrivaient jusqu’à Bergerac, Saint-Foy-la-Grande ou exceptionnellement jusqu’à Libourne, ils revendaient aussi leur gabare dont le bois était utilisé pour le chauffage ou pour faire les colombages des maisons. Quelques gabares remontaient du sel, du coton, des épices, de la morue, mais pas au-delà de Souillac, puisque en amont les eaux se font plus rapides et les falaises plus abruptes. Cette rivière a irrigué toute la vallée et les Causses durant des millénaires, nourrissant les habitants (les vallées de la Vézère et de la Dordogne sont nommées les vallées de l’Homme avec un grand H). Le saumon qui remontait la rivière représentait une manne extraordinaire. Ce sont les trois barrages en aval qui ont stoppé net son ascension, Tuilères, Mauzac et Bergerac.

Hélène : Fleuve ou rivière ?
Clément : M’en fout un peu, la Dordogne c’est la Dordogne ! Mais il est vrai qu’il y a une explication à cette controverse, toute rationnelle. La Dordogne a coulé des millions d’années avant la Garonne (le massif central est de l’ère secondaire alors que les Pyrénées sont de l’ère quaternaire). La Garonne, toute jeune, a donc rejoint la Dordogne des millions d’années après ! Et il y a un phénomène qui met tout le monde d’accord, c’est celui du mascaret qui remonte dans la Dordogne et pas dans la Garonne. C’est donc bien la Dordogne qui a formé l’estuaire de la Gironde !
C’est un ruisseau pour certains, un torrent pour d’autres, une rivière, un fleuve... C’est la Dordogne !

Hélène : On sent ton amour pour cette rivière. Quand tu la vois aujourd’hui transformée, polluée, toi qui est à la charnière entre deux mondes, un monde paysan qui en a pris soin, en vivait, et le monde d’aujourd’hui, cela te met-il en colère ?
Clément : Je repense à ce que me disait mon grand-père, que l’on pouvait voir par 10 mètres de fond avant les barrages, c’était un vrai vivier, les glaçons descendaient la Dordogne quand il faisait froid l’hiver, on les appelait les « demoiselles d’Auvergne » qui se rassemblaient dans les calmes, ça gelait durant les nuits froides et le matin les poissons se mettaient dessous. On tendait un filet tout autour et on cassait les glaçons pour que les poissons se mettent dans ces filets. Les milliers de saumons qui remontaient chaque année la Dordogne, ces pêches miraculeuses. Toutes ces histoires, je les ai entendues et j’aurais bien aimé voir ça un jour dans ma vie. J’éprouve parfois de la colère contre les gens qui ont défiguré cette rivière et n’en prennent pas soin. Je ne comprends pas comment on peut ne pas en prendre soin. Je crois aussi qu’il est important de créer du lien entre le Haut et le Bas Pays. Ici nous avons beaucoup plus de liens avec l’Auvergne et Bordeaux qu’avec Toulouse. On fait partie du même bassin versant. Tout a été découpé en départements. Tu expliques ça à un étranger, c’est la pétaudière ! La Dordogne prend sa source dans le Puy-de-Dôme, au pied du Puy-de-Sancy, ensuite elle passe en Corrèze (oui la Dordogne passe en Corrèze), après dans le Lot (oui elle passe dans le Lot), après en Dordogne (tiens c’est bizarre) et enfin dans la Gironde. Si tu demandes à un Corrézien, il dira que la Dordogne prend sa source à Bords-les-Orgues puis se jette à Beaulieu, pour un Lotois elle prend sa source à Puybrun et se jette à Souillac, pour un Périgourdin elle prend sa source à Cazoulès et se jette après Bergerac. On ne peut pas y arriver ! Il faut recréer du courant dans cette rivière, et pas artificiel avec ces saletés de barrages. On ne peut pas rendre une eau propre à ceux d’en bas si ceux d’en haut ne nous la rendent pas propre, c’est tout un lien.

Hélène : Paysan, pêcheur, chasseur, le rugby, pourtant tu es bien loin de l’image que l’on se fait d’un réactionnaire !
Clément : On peut être paysan, pêcheur, chasseur, braconnier (tu l’avais oublié), rugbyman, aimant faire la fête et se saoulant de temps en temps et... poète, aimer la vie. Je voudrais que mes enfant voient au printemps revenir les hirondelles ou pêchent un jour des saumons dans la Dordogne. Mais la poésie ce n’est pas pour les impatients ! Je ne suis pas réactionnaire du tout. Si aujourd’hui on a la Sainte-Germaine-de-Gourdon, une variété de pomme, et qu’elle est là, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’elle a été sélectionnée et est adaptée à ce terroir. Je ne suis pas conservateur du tout, mais on peut regarder de temps à autre la télé le cul sur le canapé et apprendre à greffer à Saint-Germaine-de-Gourdon parce que l’on est dans le périmètre ! L’un n’empêche pas l’autre. Il est important de respecter les choses qui se sont passées avant. On ne peut pas savoir où l’on ira demain si l’on ne sait pas d’où l’on vient. Et c’est aussi en étant attaché à la langue occitane, à des variétés de fruits et légumes, des races animales ou à cette terre qu’on pourra avancer.
C’est au travers de petits actes au quotidien que tu peux changer le monde, ça j’y crois. C’est le conte extraordinaire du Colibri, chacun peut avec son petit bec, en crachant sur la jungle en feu, éteindre l’incendie. J’essaye de l’appliquer dans mon petit périmètre, avec ma terre, à l’endroit où je vis, et avec les contes. Respectons au maximum la vie. Plantons des arbres fruitiers partout ! Qu’est-ce qu’on fout là, le cul planté sur un canapé devant la télé ! Levons nos fesses et allons apprendre à greffer avec les Croqueurs de pommes du Lot ! C’est ça en fait, tous les jours des petits gestes qui peuvent, à la fin, changer le monde.
Pour télécharger cette der de couve du n°107, c’est ici ! :

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